Nombreux sont ceux, aujourd’hui, et en particulier dans le monde professionnel, qui considèrent les émotions avec un regard dubitatif, voire anxieux.
Jusqu’à très récemment, rien n’était enseigné sur les émotions dans notre système éducatif, aussi sommes-nous incroyablement démunis face à elles. Nous les laissons nous submerger car nous n’avons pas appris quel est leur rôle et comment les utiliser. Une fois submergés, c’est trop tard : nous perdons le contrôle et, pour couronner le tout, voilà que notre entourage nous en accuse… « Mais enfin, Séraphin, contrôle-toi ! »
Ces émotions sont pourtant là pour devenir de grandes amies, de grandes alliées, nos meilleures conseillères.
QU’EST-CE QU’UNE EMOTION ?
Une émotion est une réaction chimique provoquée par notre corps et dont le rôle est de nous informer.
Arrêtons-nous un petit instant sur ce dernier mot : informer. Quel est le rôle d’un informateur ?
L’informateur est simplement là pour passer un message. Il n’est pas là pour l’analyser, le traiter, l’utiliser, ou même donner son avis sur le contenu dudit message. Il dit juste : « voilà ce qui se passe ».
A l’opposé de l’analyste, le meilleur informateur est celui qui ne réfléchit pas trop, qui n’a pas les outils pour penser son message. Car celui qui est en mesure de réfléchir au message va très rapidement développer un avis personnel sur ce qu’il doit transmettre (c’est vrai, c’est faux, c’est exagéré, le point de vue est faussé, partisan, hypocrite, c‘est à côté de la plaque, ça ne prend pas en compte ceci ou cela…)
Pensez au messager mythique de Marathon : pour annoncer la victoire des Grecs sur l’armée perse aux Athéniens, l’homme aurait couru une quarantaine de kilomètres, proclamé son message, et se serait écroulé mort sur l’Aéropage[1].
S’il s’agit du mythe fondateur de la célèbre course, on peut aussi considérer cette histoire comme la présentation du mythe du messager : celui qui transmet son message et puis plus rien.
Eh bien voilà ce que sont nos émotions : des messagères parfaites. Elles nous informent d’un fait et puis c’est tout. Après que l’information est transmise, elle sont destinées à s’éteindre, tel Philippidès sur le sol athénien.
Mais alors pourquoi restent-elles et nous envahissent-elles ?
Eh bien tout simplement parce que nous ne les écoutons pas.
Nous ne les écoutons pas, alors elles crient, elles gesticulent, elles prennent toute la place pour se faire entendre.
Et nous, bêtement, plus elles prennent de place, plus elles nous agacent et plus nous voulons nous en débarrasser. Alors nous focalisons sur elles. C’est là que débute la catastrophe.
LA CATASTROPHE DU QUIPROQUO
Philippides est venu apporter un message. Si les Athéniens, au lieu de l’écouter et voyant son état d’épuisement, s’étaient précipités sur lui pour le soigner, le mettre au repos, l’empêcher de parler pour économiser ses forces, ils n’auraient pas pu avoir accès au message que l’homme était venu apporter[2].
Ainsi en va-t-il de nos émotions : si nous focalisons sur ce qu’elles sont (leur nature, cette réaction chimique qui nous surprend) au lieu de focaliser sur leur message, nous ne pouvons pas entendre ce qu’elles ont à nous dire. Et plus nous focalisons sur ce qu’elles sont, plus nous fermons nos oreilles à ce qu’elles sont venues faire. Donc plus elles s’installent pour tenter de nous parler. Et plus nous les faisons taire car elles nous dérangent.
Ainsi s’installe le cercle vicieux de l’embouteillage émotionnel.
Que faire alors ?
ECOUTER AVEC SES OREILLES AU LIEU DE REGARDER AVEC SES YEUX
Les émotions sont là pour être écoutées.
Pas pour être regardées.
Au contraire, elles sont là pour porter notre regard plus loin, au-delà du nœud qu’elles mettent à jour. Elles ont pour but de nous inviter à l’action, une action pertinente en rapport précis avec ce que notre vie met sur notre chemin.
Chaque émotion tient un rôle précis.
Chaque émotion invite à une action précise, en lien avec notre ici et maintenant, soit pour en profiter et s’en nourrir si la situation est positive, soit pour passer par-dessus les obstacles, ou faire le deuil de ce qui est perdu, échapper à un danger, etc.
Un exemple facile à comprendre : l’ours brun montrant ses dents et sortant ses griffes.
Si vous vous trouvez face à lui, il y a de grandes chances que vous soyez saisi/e par la peur.
Si vous focalisez sur votre peur, vous serez tétanisé/e et rapidement déchiqueté/e. Si vous prenez votre peur pour ce qu’elle est (une information qui vous permet de passer à l’action), vous prendrez vos jambes à votre cou ou sortirez votre carabine, bref vous agirez avec pertinence.
MORALITE
Quand vous identifiez une émotion chez vous, écoutez ce qu’elle raconte, puis traitez-la avec rationalité. Autant le messager n’est pas voué à réfléchir son message, autant son destinataire (votre raison) doit s’en saisir et l’analyser afin de décider des actions à mettre en œuvre.
Si vous voyez que vous ne passez pas à l’action, c’est que vous focalisez sur l’émotion elle-même et oubliez son message. Fermez vos yeux, ouvrez vos oreilles, remerciez votre messager et laissez-le mourir sur votre Aéropage intérieur.
… N’oubliez pas ensuite de mettre en œuvre les conclusions de votre Conseil des Sages !
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[1] Colline sur laquelle siégeait le Conseil et tribunal d’Athènes, réputé pour sa compétence, son intégrité et sa sagesse. Notez la nature des destinataires du message : conseillers, juges, sages. Des penseurs et des méditants, donc. Pas des cafés, des cigarettes, du chocolat ou des hurlements !
[2] Notez que cette légende, comme toute légende, mélange et/ou adapte certains faits historiques pour gagner en effet poétique. Deux faits ici semblent se combiner dans cette légende : un trajet de plus de 220km aurait été parcouru par Philippidès pour aller demander de l’aide à Sparte, et un trajet de 40km aurait été parcouru par un autre messager pour annoncer la victoire à Athènes. Dans le cas de Sparte, on comprend très bien l’importance que le message soit délivré : il sert à mettre en action une armée entière (pour votre information, Sparte aurait en fait refusé). Le rôle du message est donc très clair : provoquer une action.
Source historique : www.histoire-et-civilisations-anciennes.com