La liberté toucherait-elle à ses limites ?
Nous sommes en retard, très en retard.
Très en retard sur notre horloge biologique de société qui réclame autre chose que ce combat d’idées toutes aussi justifiables les unes que les autres. C’est l’école des fans, bravo, tout le monde a gagné ! Tout le monde a réussi à faire entendre sa voix, tout le monde a justifié avec brio ses positionnements, et tout le monde est légitime dans ses points de vue. C’est la liberté d’expression dans toute sa gloire, toutes les idées se valent, tous les points de vue se valent, toutes les expériences se valent. A l’exception près que, si ma liberté s’arrête là où commence celle des autres (lesquels sont pléthores), alors comment fait-on ?
Eh bien nous avons facilement déjoué ce problème : on se justifie et on reste sur ses postures l’air de ne rien entendre. On se justifie pour exposer en quoi l’autre ne peut pas m’opposer sa propre liberté si elle restreint la mienne. Et vice versa. Ainsi de l’oeuf et la poule. Et tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, nom d’une pipe, elle se pourfend dans toute sa longueur et c’est la fin.
C’est le risque.
Nous sommes à deux doigts de nous pourfendre. Nous sommes une suite d’affrontements d’idées sourdes à celles qui nous sont opposées. Personne ne cherche à comprendre son voisin, sous couvert d’être dans son droit eu égards à son point de vue. Mais puisque tout le monde a gagné, il n’est plus question d’avoir raison ou d’avoir tort. Puisque tout le monde a raison dans son paradigme, comment donner la victoire à l’un ou à l’autre pour pouvoir faire des choix ?
Que faire de ces zones de cohabitation entre les libertés individuelles ?
Il est grand temps de nous intéresser aux points de vue auxquels nous nous opposons. Tant que nous resterons certains de notre bon droit, rien n’avancera car personne ne lâchera rien. Il n’est plus question de savoir si, moi actionnaire, j’ai raison de demander un profit x ou y à ceux qui se servent de mon argent pour leur activité à mes risques et périls. Il devient urgent de me mettre dans leur tête et dans leur vie pour comprendre ce qui les empêche de vouloir me partager le fruit de leur travail, aussi légitime que cela puisse me sembler. Et ceci vaut pour tout le monde, quelle que soit sa place, quel que soit son pouvoir. Nous sommes tous responsables de l’image que l’autre a de nous, et nous sommes tous responsables de comprendre ce qui crée cette image. Et nous sommes responsables de casser les a priori et les images d’Epinal qui nous concernent. Le pouvoir n’est pas une preuve de bon droit. Le pouvoir est simplement la preuve qu’on l’aime et qu’on l’a recherché. L’absence de pouvoir n’est pas non plus une preuve de bon droit. Elle est simplement la preuve qu’on a préféré le laisser aux autres.
Changer de focale
Nous ne pouvons rien faire sans les autres. L’actionnaire ne peut pas investir son argent dans un projet si personne n’est là pour l’inventer et le mener à bien. Le patron ne peut pas mettre en oeuvre un projet sans argent ni sans agents. Les agents ne peuvent ni concrétiser un projet inexistant, ni le faire sans argent. Si nous voulons travailler ensemble, il faut commencer par lâcher ses positions. Il faut aller chez l’autre et découvrir pourquoi il a effectivement raison. Il faut se considérer avec estime et sympathie. Il faut avoir le désir de se comprendre et de stopper sa propre liberté là où commence celle de l’autre. Il faut chercher ensemble l’équilibre, la gestion du paradoxe. Il faut se décentrer. Il faut lâcher du lest. Tous. Sans exception. En même temps. Maintenant.